lundi, 22 octobre 2007
Cyprine et mouillure sont les mamelles de la vie vivante
Si je devais établir une bibliographie de ce que j’ai lu pour assertir mes thèses, le nombre des livres que j’ai lus ou étudiés est suffisamment important pour correspondre à moins des bouteilles de vin que j’ai bues. Ce qui est assez normal du fait que de lire un livre prend généralement plus de temps que de boire une bouteille ; et que si relire un livre qui vous a plu est encore possible, il faut en ouvrir une autre pour tenter d’en retrouver le goût qui se modifie au fur et à mesure qu’on la termine.
On peut aussi dire que le nombre de bons livres que l’on peut lire au cours d’une vie n’est pas très éloigné de celui des bons amis ou des amantes chatoyantes que l’on rencontre. Ce n’est pas seulement ici une question de chance (ou plus sporadiquement une affaire d’opportunité) à laquelle on ne peut pas grand-chose sinon que d’en suivre le cours qui va comme celui d’un torrent : parfois impétueux et souvent à sec. C’est que les rencontres sont pour une grande part sujettes à des idées du moment qui courent votre tête en ce qu’elles sont en correspondance avec votre cœur dont les dispositions ne sont pas toujours celles qu’on désirerait. Les rencontres se résument à des concordances éphémères où les amours que l’on voudrait propres se frottent à celles qui vous bouleversent pour vous émouvoir : on choisit ce qui vous mène au pire de ce que vous pouvez être sans jamais l’oser seul, car le partage est une jouissance communiquée (et alors communicable à plaisir) du fait que dans ce monde toujours emprunt d’angoisse, elle répond encore à une limite de permissivité, un encadrement duquel l’espoir de vivre se permet épisodiquement d’envisager un autre mode de plaisir plus simple et plus envahissant.
Oui, l’idée m’est venue d’une bibliographie vraie, mais l’écrire me fatigue déjà à l‘idée de l’établir : on ne boit pas impunément ! Le lecteur doit ainsi admettre, par sa propre expérience hydrique, que des fatigues ne sont pas toujours fertiles… pour son prochain. Je ne trouve donc confronté à cette sorte de résumé qui dit petitement plus que la quantité de mot qu’il emploie, mais qui n’en détient pas moins le poids de ce qu’il tend à affirmer : toute la littérature de mon temps, à de rares exceptions près, et ce depuis environ huit mille cinq cents ans, ne décrit qu’une seule et similaire angoisse de l’amour : celle de ne s’atteindre jamais dotée parfois de la profonde constatation de ne le pouvoir jamais profondément atteindre.
Point n’est besoin d’être grand clerc pour le dire ou pour l’écrire : cette persistance de cet impossible à atteindre a fleuré bon dans toutes les religions, tous les dieux, toutes les femmes violées et tous les hommes émasculés en symbole ou en tranchant. Et je ne suis pas le premier à mettre le bout de mon doigt sur cette affaire connue. Cyprine et mouillure sont les mamelles de la vie vivante.
L’occasion est de dire alors, sans aucune référence épistémologique par le singulier défaut de se montrer pléthorique, que le but, la recherche, la poursuite du plein amour, de l’orgasme extrait d’une prospection sempiternelle, de l’orgasme pulsionnel, battant du cœur et de l’esprit unis sans contradiction rédhibitoire, qui va et qui vient sans objet troqueur, ne se rétablit que par la reconnaissance de son impossibilité et la recherche effective, pratique et pratiquée de sa réalité… qui inclut ses défauts.
Ce que j’ai lu même ne me permet que de parler en quelque sorte que par énigme : respect de l’autre, incertitude personnelle, relativité des actes et des êtres qui les commettent. Moi même, ne suis-je pas qu’un simple poivreau… heu… poivrot ? Je vais vous raconter une histoire vraie.
À Paris, du côté des Halles rénovées, un contorsionniste fait sa planche (il s’exhibe pour gagner des sous). Des gens pourvoient à sa sébile, épatés par les formes qu’il donne à son corps. Passe un groupe de « jeunes » qui s’accapare en passant de l’argent entassé par le public. Le contorsionniste est stupéfait (mais on voit bien à son regard que ce n’est pas sa première expérience de l’affaire) et moi je suis outré de l’acte. Je proteste et m’interpose sur le chemin des ravisseurs. Je me trouve rapidement entouré et acculé à un grillage : on me demande des comptes ! Je négocie ma vie en jeu et reçois, comme un fauchage, un coup de pied au plexus d’un quidam de cette bande de pseudo-révoltés (en fait : des provocateurs d’émotions brutales et brutaux). Je fais triste mine : on m’oublie.Mais qu’en est-il des gens qui ont pourvu à la sébile et qui ont vu leur argent s’orienter vers une destination à laquelle ils ne l’avaient pas attribué ? RIEN, pas un geste, pas une moufte, comme on dit dans ce monde du réel.Pas un soutien, ni au frustré de l’objet de son travail, ni à une personne qui s’est offusquée de cette frustration. Des ploucs, comme depuis huit mille ans, la tête baissée sur leur incapacité de réagir opportunément aux actes de leur propre vie.Il en est de même de ces autres ploucs, aussi actuels, devant une télévision : le regard perdu, inactifs, devant le miroir de l’impossibilité qu’ils attendent de se voir refléter.
L’angoisse, à tout dire, ne se situe nulle part ailleurs que dans cet endroit du cœur qui craint de rejoindre son âme : l’orgasme. Si je suis qui je suis, c’est que je n’ai jamais, ô combien jamais, considéré comme une aventure le fait d’acheter quelque chose à prix d’argent et de toujours payer de ma personne pour obtenir ce que je désire.
En somme, un de mes résumés bibliographiques possible est de refuser le salariat comme alternative à l’angoisse, à celle qui, précisément, vous empêche de s’atteindre soi-même, à travers l’autre, la perte de l’angoisse. Le salariat est l’exacte mesure de la séparation des êtres comme proposition achevée à l’établissement de leur séparation.
21:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Politique, humour, amour, poésie