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samedi, 16 octobre 2010

Gnoséologie et quadrilectique

Henri Lefebvre a écrit des choses très intéressantes. Je me souviens d’un livre sur la pensée de Karl Marx (Pour connaître la pensée de Marx, Éditions Bordas, Paris, 1948) qu’on ne trouve plus, hélas. Il a aussi écrit un truc sur la cybernétique, très rigolo. Et, page 122 de « Problèmes actuels du marxisme » chez PUF (1958) : … la « gnoséologie » distingue plusieurs lois : celle de l’interaction entre les « choses » et les processus déjà distingués par une analyse concrète ; celle des rapports entre quantité et qualité ; celle du bond qualitatif à un moment donné ; celle enfin des contradictions comme raison du devenir. Il en oublie une, que votre serviteur a proposé : celle de l’hystérésis -- qui complète merveilleusement celle de changement de quantité en qualité et du saut qualitatif : le temps nécessaire pour qu’un état passe de son état à un autre : le moment du saut qualitatif.

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est la confusion entre contradictions et devenir. « Les contradictions comme raison du devenir » signifie que pour devenir, le devenir a besoin des contradictions. Or, pour devenir, seul le temps qui ne passe pas l’empêche de ne pas devenir. On parlera plutôt du devenir de la (ou des) contradiction(s), comme raison des contradictions. L’inverse n’est pas juste : le devenir n’a pas besoin des contradictions pour devenir (ni être), sinon que comme prédestination et le devenir n’ayant pour prédestination que lui-même, ce ne peut être une contradiction, sinon que lui, et rien de plus. C’est comme une réflexion qu’on m’a faite hier soir : je disais que mon jardin (associatif) était un endroit d’expérimentation de modes de culture (et de moindre effort, bien évidemment) et on me recommandait d’écouter les idées des autres plus expérimentés et plus conventionnels ; ce à quoi j’ai répondu : « et qui me donneras les idées que j'ai dans la tête... ? » ; à quoi on me dit : « pas besoin puisqu'elles y sont déjà » sans comprendre qu’elles ne sont pas dans la tête des autres et que ces autres ne peuvent donc pas, parce qu’elles n’y apparaissent pas, me proposer celles que j’ai dans ma tête. J’ai réussi tout de même à garder mon jardin encore une année.

Le terme « gnoséologie » me plait beaucoup. La philosophie est l’énoncé d’une perception du monde et elle montre du même mouvement le monde selon une manière de le percevoir. C’est ce qui m’intéresse. L’interrelation entre les choses revient à reconnaître l’interrelation entre ces pensées énoncées et le monde, aussi bien ; donc entre les gens, entre les gens entre eux. Selon ce que pensent les gens de eux, ils le pensent du monde et de ses relations. La philo élargit, ou  tente d’élargir cet entendement. Seulement, le plus souvent, elle n’est qu’une énonciation de ce qui est, de ce que les gens sont et de ce qu’est leur perception du monde. Lorsqu’on découvre une « contradiction » dans la philosophie, on découvre en même temps la contradiction d’un moment du temps humain et de sa perception. Et je trouve amusant qu’on pense que le devenir trouve sa raison dans la contradiction, puisqu’il ne peut qu’être. Ce que veut dire Henri Lefebvre est qu’il est possible, en comprenant les contradictions du présent, de peut-être influencer les conclusions du présent dans l’avenir – ce qui est correct. Le monde du secret est de déni de la sexualité comme réalité ; le secret du monde est la fuite devant la satisfaction sexuée. Dire que les contradictions sont la raison du devenir revient au même : ce qui est empêche le saut qualitatif et il faut le triturer (le devenir) pour qu’il advienne.

Ce n’est pas très clair. Parce qu’on perçoit en soi le désir, il est supposé que sa solution est dans son devenir : c’est faux, enfin… non : c’est juste dans le faux. Le désir est contradictoire : il se formule comme déjà réalisé et il n’est pas ; à la différence du besoin qui demande à ne plus être, à se supprimer. Le désir contient ses propres contradictions : être ET ne pas être encore. Le besoin sait qu’il n’est pas ; le désir refuse de ne pas être. Ainsi, dans la règle du saut qualitatif, le désir ne se réalise pas, tandis que le besoin, oui, et comme satisfaction. Le devenir a donc pour raison les contradictions du présent dans la mesure où son devenir est prédestiné au présent, comme le désir ; mais pas comme le besoin. On va me dire alors que le désir est naturel chez l’humain car humain et le besoin est plus « bestial », si je puis dire, moins « humain ». C’est mal comprendre ce qu’est le besoin, c’est le comprendre comme contradictoire à son devenir : la satisfaction.

En étant moins brutal, je dirais que le désir est l’image d’un besoin, qu’elle serait donc inévitable. J’ai bien des images qui me passent par la tête, de viol, de meurtre, et de choses pires ou presque, sans que j’en veuille manifester une réalisation, car je sais que je n’en aurai pas de satisfaction : j’ai déjà vérifié et plus que vérifié. Je pense qu’il faut être dérangé affectivement, avoir en conséquence des modalités de satisfactions étranges, pour en trouver une dans la maltraitance, l’irrespect, la fin de l’autre ; ou de se mettre dans des circonstances extrêmes évitables. Et c’est là que vient s’immiscer la loi de l’hystérésis : le repu ou la pré-détente. Affirmer que le devenir a besoin de contradictions pour se manifester est donner au désir la place qui revient au besoin qui échappe à son devenir. Et de même qu’on fait fi de la satisfaction sexuée, on fait fi du contenu du besoin, car vil, terre-à-terre, bassement matérialiste : comme l’une est inatteignable, on la pose en image de sorte à ne pas pouvoir l’atteindre, comme ça c’est plus facile : elle reste un désir, une contradiction du besoin : d’une part : j’existe, d’autre part, mais jamais pas encore. Les modalités du repu ou de la pré-détente s’en trouvent fortement influencées : du fait que tout est éloigné en images (en « représentations » disait Guy Debord, un pote à Henri Lefebvre dans sa jeunesse jusqu’à ce que Henri Lefebvre fasse un très mauvais usage d’un texte de l’International situationniste sur la Commune de Paris) le besoin, pour se satisfaire, demande à se contredire, à se nier lui-même comme nécessité et à revendiquer sa réalisation ; et ce mouvement est celui typique du désir à ceci près que le désir peut ne pas être réalisé, que son porteur (pour le dire à la J.-P. Voyer) en soit sans fin le porteur, c’est-à-dire, séparé de son besoin qu’il ne sait plus reconnaître puisqu’il ne le perçoit pas même comme charge.

Or, si je mets mon grain de sel dans la gnoséologie (que j’avais, avant d’en connaître le mot, nommé quadrilectique), ce sera pour dire que le devenir se réalise dans les complémentaires du présent ; et les complémentaires des désirs, bien évidemment (les désirs ne correspondant qu’à des images de devenir) tendent à ne faire appréhender le présent que sous forme d’images : un monde de désir ne comprend rien aux besoins du monde et encore moins au monde des besoins qu'il met en images.

La quadrilectique (qui prend en compte la simultanéité de quatre éléments, comme la gnoséologie, avec la précision de l’hystérésis) se penche sur ce fait toujours mystérieux (encore qu’on en a une bonne approche lorsque l’on y est attentif) du moment déclanchant du saut qualitatif, l’orgasme, et la nature du repu, du repos ; et antérieurement, la nature de la tension et la force de la charge, la pré-détente comme détermination. Ce moment n’est pas contradictoire, il est l’addition de deux entités qui sont complémentaires, jusqu’à n’en faire qu’une qui se divise alors, car SON moment est devenu. Selon la dialectique, antérieurement à leur addition, les deux entités sont contradictoires à leur précédence en vue de donner ce résultat : cette addition qui aboutit à leur fin et à leur renouveau sous une nouvelle forme, synthèse d’une thèse et d’une antithèse : c’est un peu faible puisque ce qui paraît contradictoire dans la dialectique est qu’il faut trouver la contradiction qui sera le moment déclencheur par l’adéquation optimale d’un complémentaire et de sa raison d’être. La raison d’être des complémentaires est le devenir qu’ils vivent au présent.

Néanmoins, on va me faire remarquer que la dialectique est la recherche de l’antithèse, de ce qui empêche le devenir de devenir : là encore il y a prédestination, donc plantage. Le devenir est labile, il se manifeste tel qu’il se manifeste, avec ou sans recherche de solution : il est là au fur et à mesure qu’il se présente. On va insister en disant qu'on rend le devenir plus humain. Certes oui, il est possible de le prédire, de l’anticiper : si je mets du feu sous ma casserole, l’eau va bouillir. Mais selon cette méthode, il ne s’agira toujours que de recherches autour d’une cause et d’un effet ou vice-versa. Il ne s’agit pas encore de transformation en tant que saut qualitatif qui inclut la perception de la charge-décharge et de l’hystérésis. La dialectique ne s’intéresse pas à et ne veut rien connaître de l’énergie. La gnoséologie commence à s’y intéresser. En entrant dans la baignoire de la quadrilectique pour s’y immerger, on commence à prendre son temps. car il ne s’agit que d’addition d’énergies vitales dont la somme comme entité nouvelle se divise. Guy Debord parlait de tension sociale affective… et c’est bien de cela qu’il s’agit.

Parce que ce mouvement de charge-décharge passant par l’addition et se réalisant dans la division, implique obligatoirement une perte quelque part d’un excédentaire – excédentaire qui a provoqué cette addition et qui procure précisément le repu par sa disparition --, autrement dit un retour au don dans le mouvement même du processus de devenir, ce mouvement d’addition et ensuite de division ne plait pas à tout le monde et principalement au monde rigide des affaires. Cet excédentaire est l’objet-même de ce processus et je lui donne nom de « don » car c’est ce qui résulte de son usage où à la fois cet excédant, comme résidu de cette division qualitative, ne peut pas ne pas se trouver. Ainsi, il est don et pas don : l’eau que l’on trouve est-elle un don ? Oui, lorsqu’on a soif, sinon elle est là, tout simplement.

Par exemple, c’est là où ce processus est le plus manifeste, ce qui est nommé la « procréation » avec sa visée spéculative et intéressée de la multiplication, et que l’on comprend comme une re-production de l’espèce, qu’il est le plus malmené : l’amour (addition), le coït (division), la gestation après que se soient additionnées les deux gamètes qui donnent un œuf qui se met alors lui aussi à se diviser, et la gestation (don organique et échange de dons affectifs entre tous) et l’accouchement-allaitement jusque la séparation : tout cela va de guingois et est superbement bien capitalisé, rigidifié, multiplicatif. La quadrilectique permet de comprendre que le monde ne se multiplie pas, il se divise, et cherche à saisir pourquoi on comprend qu’il se multiplie et pour ce faire, qu'on cherche à prix de mort à le multiplier.

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