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mercredi, 15 septembre 2010

Le remue-lemming

Je me souviens de la première fois où j’ai comme douté de la manière de penser de cette société alors que je lisais un article sur les lemmings : ces petites bêtes se « suicideraient » lorsqu’elles « se » savent en surnombre. Que j’ai trouvé cela étrange ! C’est étrange que des bêtes, pleines de vie, faites pour la vie, vivantes, « se » suicident. Et puis j’ai constaté que c’est lors (c’est dans l’article) d’une transhumance qu’elles veulent traverser un détroit et qu’elles s’y noient. Autrement dit, du fait de ce surnombre indiscutable, le besoin d’aller voir ailleurs leur fait traverser un détroit où elles pensent, estiment, subodorent trouver de quoi satisfaire ce surnombre. En conséquence, elles ont déjà l’habitude de traverser des cours d’eau ou des étendues d’eau et que le désir d’alors, leur fait entamer une traversée qui leur sera fatale, à celles qui s’y engagent. Celles qui restent, voyant leur nombre diminuer, peuvent penser qu’il ne leur est plus nécessaire d’entamer cette traversée. Aussi, je me suis mis à penser, moi, qu’elles ne se suicident pas, mais vont sur des chemins qui s’avèrent mortels pour elles, ce qui n’est pas du tout pareil.

Dans de tels cas, je remonte l’histoire à l’envers : pourquoi donc, veut-on absolument penser que le suicide est possible chez le vivant ? puisque c’est de cela qu’il s’agit, comme d’une fatalité humanisée, devant laquelle il ne resterait qu’à baisser les bras, à la subir, à s’y soumettre. Je suis simplet, je veux bien, mais là, ça fait beaucoup à avaler, comme grosse couleuvre : il faudrait se résigner à un fait dont on est, soi, responsable ?

On veut faire penser que le surnombre doit faire l’objet de sacrifice. Premièrement : pourquoi ce surnombre, chez nous, les humains, nous qui sommes sensés être sensés ? Et secondement, pourquoi un tel surnombre chez d’autres mammifères ou autres animaux ? Cela fait parti du cours de leur vie : l’abondance dont profite une génération qui se reproduit alors en fonction de ce qui lui est proposé, ne convient pas obligatoirement à la génération suivante, car cette abondance n’est plus si abondante en raison de ce nombre supérieur, soit de ce nombre même soit de la moindre abondance. Ce que je veux dire est : penser que nous sommes des animaux qui ne savent que profiter du moment de l’abondance du moment sans penser au lendemain, ne laisse dubitatif quant à notre maîtrise de CETTE abondance dont nous pourvoit la vie. De fait, si l’humain établit un équilibre entre son TRAVAIL et les FRUITS de ce travail de sorte à ne pas se reproduire en fonction de l’abondance que ce travail apporte ici et maintenant, il devrait être à même de ne jamais manquer de rien, ou de très peu. La question subsidiaire devient donc : mais c’est quoi cette misère ? Ne serait-ce pas cette manière d’interpréter le monde de sorte à penser que les lemmings « se » suicident dès lors qu’ils « se » sentiraient en surnombre ?

Et puis cela sous-entend surtout qu’une partie d’une population doit se sacrifier pour la survie de l’autre ; quant au choix qui doit être fait des uns et des autres, certains seront de toutes évidences plus égaux que d’autres. Ainsi, en résolvant l’énigme du lemming, je me suis fait apparaître quelques facteurs pour le moins improbables, d’une part et d’autre part, le fait que je n’étais plus tout à fait d’accord avec les interprétations que ces scientifiques sociaux, nés de cette société, qui ont tété son lait sur les bancs de ses universités et autres laboratoires, et qui ne pensent que pour corroborer par cette interprétation sa manière de fonctionner. Ça jette un doute aussi vivant qu’un asticot dans une pomme malade : les explications que cette société donne des faits issus de la « nature » sont sensiblement orientés et cela me gêne, car ce que j’aime, c’est de trouver une explication la plus vivante possible pour clarifier un fonctionnement vivant. Or, ici, selon elle, il s’agit de mort « volontaire ».

La trace qu’une telle constatation laisse, outre le doute dont je parlais tout à l’heure, est qu’on va chercher ailleurs les explications qui vous manque du monde, en lâchant celles qu’on veut bien vous donner. Comme on doit, en quelque sorte, tout refaire, trouver de nouvelles références, établir de nouvelles fondations, au début c’est assez long et pénible, incertain et vague, tâtonnant et hésitant. Puis on se fait ses marques, comme on dit. Il y plusieurs choses qui ne peuvent mentir : on respire, on mange, on boit, etc. Si les organes génitaux se situent près de l’anus, c’est tout simplement parce qu’ils servent eux aussi à la décharge, mais cette fois-ci, de l’énergie excédentaire accumulée de par le fait de vivre ; et la fonction de la décharge n’a rien de sale, sinon que pour une personne qui trouve les organes génitaux entachés de souillure, ce qui est moral et non pas vital. La charge se fait par l’apex des corps, par la bouche, les yeux, l’ouïe, la chevelure, la cervelle et la décharge par la racine, la base de sur quoi tout ceci est bâti, les pattes arrières, ce qui donne l’élan. Si la jonction supérieure des pattes avant s’en séparée de l’axe osseux du corps en se scindant en deux omoplates pour acquérir une mobilité extraordinaire, celle des pattes arrières est toujours et encore soudée à cet axe.

S’il ne s’agissait que d’une confusion passagère, je ne serais pas si coupant : c’est l’ensemble des interprétations du monde qui cherche à se correspondre à un fait global d’organisation sociale. C’est ce que je nomme un « état d’esprit d’un moment » dans le cours du temps.

Cette pensée est fondue tant à partir de celle que l’on nomme « dominante » que de celle qui ingère cette domination. C’est LE drame humain : le fait que le battu fait sien le fait d’être battu, et son « état d’esprit » aussi bien. Si les gens ne se révoltent pas, c’est qu’ils n’en n’ont pas « l’état d’esprit » et cet état d’esprit est tributaire du fait qu’ils sont battus, dans tous les sens du terme. Les victoires de ses idoles qui jouent encore à la balle répondent à ses désirs inassouvissables et pour une fois, encore, réalisés… par d’autres ! Ses renoms militaires sont encore des victoires pour d’autres que eux ; ses conquêtes commerciales accomplissent la pauvreté de leurs existences amoureuses. Et la ruée matinale qui les mène au travail restera stérilisatrice semblablement à cette cheminée d’usine ou la tonne de papier qui échoit dans ses poubelles bureaucratiques.

C’est cet « état d’esprit » qui limite l’ensemble des possibles d’une société donnée dans l’acquisition comme vécu immédiat du bonheur : certaines sociétés refusent le « progrès » parce que celui-ci détruit cet équilibre entre ce que la nature pourvoit et le bonheur implicite de l’organisation sociale qui le permet. Un état d’esprit si emprunt de lui-même qu’il en oublie totalement, même contraint par la nécessité et l’évidence, son intégration indubitable à la vie qui le porte, sur laquelle il pose érigé ses pieds ou repose son dos quand il dort, ne peut survivre à son idéologie, à son Idéal. Il sait, comme dans son interprétation du « suicide » des lemmings, qu’il va à la mort, mais refuse de la voir : un état d’esprit est comme une âme qui ne veut pas mourir alors que son corps périt ; elle laisse sans cesse penser le contraire de ce qu’elle est : un souffle qui disparaît lorsqu’elle quitte le corps mort, un rien d’autre.

C’est donc un fait de morale qui maintient ce monde et cette morale tient sur une interprétation qui retourne à elle-même, une tautologie, une maladie. Le remède est à la fois simple et compliqué. Simple, car il suffit de s’en défaire, compliqué, car il n’est pas si facile de s’en défaire… et pour quoi ? Elle ne laisse de place à rien d’autre qu’à elle-même ! Enfin… c’est ce qu’elle n’est plus si sûr de pouvoir croire.

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