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mercredi, 01 septembre 2010

Et qui vaut taille

Ces films de guerre sont vraiment là pour spécifier que le peuple et ceux qui le composent, c’est de la vale-taille, bon à être sacrifié pour une cause dont il ne soupçonne pas la grandeur, tant il est petit et à laquelle on demande pourtant d’immoler de la vie. C’est de bonne guerre lorsqu’on veut que ceux qu’on voudrait qui se contemplent dans de telles images, restent sans critique, cois, et supporters ; et aussi un bon apprentissage à acquiescer la vue du sang d’un autre, étranger à cette cause qui le dépasse, mais dont il a fait sienne comme un pomme dans une bauge, prêt à en découdre pour fendre la peau, percer les cuirs et trancher les trucs qui peuvent saillir qu’on a eu le malheur de laisser dépasser au mauvais moment et au mauvais endroit. Le seul fait que ce peuple va se porter devant de telles images, montre son approbation à un tel projet d’endoctrinement qui signifie, ma foi, qu’il ne sait pas faire autre chose de son temps.

Bon, j’exagère : il est possible que ces films où il faut sauver une fille ou un soldat, ou encore où un héros doit démontrer la justesse de ses vues quant à la justice, l’équité relatives des classes et leur maintien, soient comme une purge du pire et comme un médicament préventif, à ceci près que la dose est assez brutale, pesante, congrue et rouge. Je ne sais. Et puis il y a du rustique dans ces évocations, des barbes, du muscle et des regards furibonds. C’est, dis-je, peut-être une distraction, je ne sais car ce sont là des mœurs que je découvre soudain.

N’empêche, la pédagogie consistant à montrer par l’exemple des possibles aussi violents laisse songeur. Tous ces efforts, tous ces cris, toutes ces tourmentes, ces abattements, ces trucs d’hommes, en gros (deux muscles, un cerveau) qui en veulent dur à cette tâche qui consiste à se défaire d’un autre homme, dénommé « ennemi » alors qu’on ne le connaît pas… il y a comme un goût de revenu, de vomi qui rend amère la bouche. Je suppose qu’on attribut à cet ennemi la même alacrité à défendre la cause de ceux qui le commandent et qui lui disent qu’il est bon, non pas pour lui-même, mais pour un ensemble dans lequel sa présence future restera dans l’aléa des conjonctures au regard de la manière dont il s’en sortira plus ou moins sauf, avec la même hargne, finalement, à défendre, dans cette attaque viscérale les pensées qui donnent une direction guerrière à ses gestes. D’ailleurs, il a subit un entraînement, le gars de l’image, propre à précisément l’obnubiler dans l’exécution de cette entreprise propice à lui donner du cœur à l’ouvrage, une sorte de conditionnement où le sujet de sa propre personne passera sans penser outre à son accomplissement. Décerveler un humain, finalement, ce n’est pas bien difficile : il suffit de lui crier dessus, de le forcer à faire ce qu’il n’a pas envie de faire et de le confronter à une mort sociale s’il n’est pas d’accord de n’avoir pas envie ou même, pour de plus rétifs, à l’enfermer dans un espace exigu en le nourrissant de pain sec et d’eau. Ca s’est vu, ne croyez pas que j’exagère ! D’autres, pour moins encore, se sont vu brûlés, décapités, empalés, écartelés, boursouflés d’eau, les os broyés aux coins, les yeux crevés et d’autres organes encore totalement et soigneusement maltraités pour ne plus fonctionner correctement.

C’est pourtant ce que montrent ces films et par le menu. Il faut bien admettre, du bout d’un regard comme un long bâton dérange un cadavre de chat assez avancé, qu’il doit y résider un plaisir ou un autre à tant d’exposition. Ces charges pleines de fureur, de cris et d’explosions, de projectiles, surtout, propulsés à bras d’humain suite au déclenchement volontaire que stimule la gâchette (un relent de puissance : « ha ! je l’ai eu ! » dans son désir bouffi d’orgueil) ou encore à l’aide d’une poudre noire, dite « à canon », lancés dans une seule direction en escomptant que le hasard, aidé du nombre, portera une efficacité des plus rentables en blessures mortelles, que l’on distingue comme dans un brouillard tant est dense la hargne qui fourmille l’air de la quantité mise en œuvre, abasourdissent par leur ampleur. A nouveau, c’est précisément l’objectif de telles images : le nombre. Pour faire une guerre, il faut du nombre et beaucoup et de tout.

C’est le nombre qui fait l’armée et si Napoléon a gagné ses premières guerres en s’appuyant sur une technique inédite, celle du tirailleur en ligne - individu qui prend sur lui seul la victoire, en beaucoup - plus tard il a admis que c’est le nombre qui la provoque ; à peu près correspondant à celui du succès en nombre de ce spectateur de ces films, spectateur qui retrouve fidèlement ses mêmes figures de figue sous des déguisements différents qui le rassure quant à ce succès dont il veut avoir la certitude ferme. C’est pour cette raison que je doute de sa sincérité lorsqu’il m’affirme qu’il va visionner ces films comme moyen cathartique ou préventif. Ce serait plutôt libérateur, à mon sens. De tels films le libère de cette agressivité qu’il a accumulé ailleurs et dont il n’a pas pu, d’une part se défendre et d’autre part se défaire. Ces atrocités le libèrent de son manque de liberté qu’il ne sait pas entretenir, caresser, choyer, conserver, aggraver, déployer. Outre la rencontre amoureuse, c’est la conquête de la liberté qui sert d’appui à cette constitution affective qu’il veut retrouver en images et qui lui fait débourser ses menus sous à l’entrée du cinéma. La conquête de la liberté, vue au cinéma, est paradoxale, puisqu’en images, alors qu’elle est un fait social, individuel, une relation en partage et une réalité qui trouve sa description dans et à travers ses mots. Or, au cinéma, en images, elle n’a que la consistance de l’image, une vision et une vision qui se déroule dans un accomplissement qui restera en images puisque les lumières revenues, rien n’a changé, tout est comme avant, peut-être une sensation de rêve persiste comme l’absence d’un temps mort, une mi-temps, un entracte, mais rien de plus, matériellement, socialement ou collectivement responsable de ce qui arrive.

Suivant ce schéma simplissime de la conquête de la liberté mise à mal, les gens se satisfont de ce qui est, car, même en image, cette liberté chérie a trouvé à se manifester et cela peut satisfaire celui qui l’a perdue. Et pour cela, les armes détonantes de toutes leurs pétarades, de leurs estafilades sanguinolentes, de leurs entailles béantes, de leurs coups bas, traîtres, vicelards, pervers et maudits, que des trucages méticuleux s’efforcent de rendre les plus vraisemblables possibles, les déplacements de forces et de force, les subtiles moqueries d’un hasard ourdi, les précautions rendues dérisoires d’accéder à cette liberté comme les espoirs tendus à l’extrême de l’acceptable toujours repoussé dans les limites de l’improbable, loin de le faire jouir de cette conquête de la liberté parce que réellement vécue, le pose plutôt dans des stades d’angoisse dont il se sent sécuritairement protégé par l’image qu’il contemple et dont il connaît la consistance, et lui montre un aveu : son peu de puissance qu’il puise en lui de la comprendre, de comprendre ses modalités – qui sont souvent à une distance astronomique de ce qui lui est montré car beaucoup plus proche de la réalité – ses entournures et sa multiplicité de formes, et désagrège son appétence à l’accomplissement d’un tel projet en le comblant d’ersatz, d’images d’icelle.

Non, ce n’est pas moi qui suis moral, ce soir, ce sont ces films : par rapport à eux, j’en suis dépourvu.

Commentaires

bon article

Écrit par : emule | lundi, 27 septembre 2010

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