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mardi, 25 décembre 2007

Jouissances endiablées

Mettons sur cette estrade la vérité et sur celle-là n’importe quoi qui est faux : l’humain va se tourner vers ce qui est faux. L’humain préfère la vérité, bien sûr, mais il trouvera toujours une bêtise pour s’en détourner. C’est que la vérité c’est fatigant, beaucoup plus fatiguant que la bêtise qui est, elle, pourtant bien fatigante.

Hé oui, pour aussi fatigante que peut être la bêtise, elle ne rebute en rien l’humain. L’humain est une bête de fatigue, et elle adore ça. L’humain déteste en idée le labeur, le travail bête, mais en pratique il l’adore et s’y adonne sans autre commune mesure qu’elle-même, et ce n’est pas de la tarte, cette mesure : un seul être peut la rivaliser et à lui tout seul il la rivalise, la surpasse même. Il semble qu’il lui manque tant de bêtise que ce travail, justement, lui en apporte d’autres ; en somme il a le sentiment de se dépêtrer des bêtises du moment en en pourvoyant son avenir immédiat de moins défraîchies.

Par exemple, l’humain déteste qu’on lui dise qu’il est borné : et pourtant sa nature le borne du fait de sa nature. Lui qui se croie au-dessus du monde parce qu’il pense, rejette avec vigueur, sinon colère, mépris et dépit, le fait d’admettre qu’il est borné par sa propre nature. C’est qu’il n’a aucune, ou si peu, connaissance de sa propre nature, il ne sait pas qui il est, sinon il ne prendrait pas à mal qu’on affirme être borné par ce qu’on est car, bien plus que des seules apparences comportementales, on jouirait de ce que l’on est : la vérité est jouissive. C’est parce qu’il ne connaît pas les limites de ce bornage qu’il s’inquiète de ne pas paraître intelligent et qu’il se met en pétard alors qu’on le lui dit.

Bien sûr il est toujours loisible de jouir des apparences comportementales pour ce qu’elles sont, en vérité, pour ce qu’elles voudraient être, mais pas si souvent pour ce qu’elles ignorent être et ce qu’elles veulent être. Un imbécile ne sait pas jusqu’où ou bien quand il est imbécile, le moment où il le devient, l’est devenu. On sait qu’il passe cette borne quand il ignore qu’il la dépasse. Son environnement détecte alors comme « un déplacement de l’attention du point central vers une périphérie incertaine », comme un évitement obstaculaire de ce qu’il n’est pas capable de comprendre et qui lui échappe, qu’il n’a pas vu et qu’il a pourtant contourné. On rit, chez lui, de son manque de prouesse intellectuelle et il en rit aussi car elle est risible, en toute bonne foi, comme système : de l’ignorance de sa mécanique et de la sincérité de son déroulement.

À ceci près que la bêtise, à l’encontre de l’imbécillité, se pose en sincère alors qu’elle a une idée dans la tête : « Comment vais-je réussir à lui faire acheter cette bêtise ». Ici, il n’est pas obligatoirement question de prix : il s’agit juste et seulement de faire accepter au meilleur coût et le plus rapidement possible telle ou telle idée de la relation qu’on entretient avec la personne et dont on veut qu’elle pâtisse sans que, finalement, on s’en rende, soi, responsable. Il suffirait d’écouter, mais on se fait avoir. Et on se fait avoir toujours à cause d’une autre idée que l’on a de la bienséance, de la décence, de l’honnêteté… que l’autre, l’inducteur de la bêtise, utilise car il ne la possède pas d’une manière aussi vivante. Et on se fait avoir.

L’humain n’est pas aveuglé par la bêtise, mais bien par autre chose qui lui fait admettre la bêtise pour plus valable que la vérité. L’humain voit, sent, perçoit, palpe même la vérité, lui trouve un bon goût (quoi qu’un peu fade), etc. mais il lui préfère la bêtise de loin plus riche, selon lui, en variétés, en formes, en fonds ; ce qui est faux, bien sûr. La bêtise est banale, morne, plate, uniforme, blanche ou noire, de droite ou de gauche, vieillotte ou jeune, défraîchie ou ravivée : elle se reproduit toujours avec les mêmes moyens, de la même manière et dans des formes similaires. On riait déjà dans le livre aussi vieux que la prostitution, des mêmes gags éculés sur la sexualité bête, insatisfaisante de l’amour, de celle de la femme comme celle de l’homme (à qui il ne manque aucune côte) que l’on rit de nos jours sans qu’ils soient plus crus car la chair est aussi fade, froide et flasque ; on est peut-être moins sanguinaire.

En fait l’humain n’accepte pas le mouvement à moins qu’il ne soit différé et exécuté par un autre, sinon il le tuera dans l’œuf, très tôt, intra-utero parfois. Si la vérité et la bêtise provoquent ou procurent une émotion, la différence entre l’émotion provoquée par la première est différente que celle provoquée par la seconde. La première est profonde, la seconde est superficielle. Vous allez me dire que c’est là un jugement moral, personnel qui n’est étayé par aucune étude sérieuse inférée pour écarter l’élément erroné qui formule mon hypothèse. Et si un des deux éléments est erroné, puisqu’il n’en reste qu’un, l’hypothèse est fausse et non avenue. Pour admettre donc que cette hypothèse est juste, je suis obligé d’admettre que la vérité est profondément émouvante et la bêtise supercielle, d’emblée. Ach’, me voilà bien coincé ! Je ne peux prouver la vérité qu’en posant pour certaine mon hypothèse. Zut. C’est plus une hypothèse, mais une vérité, alors… et je n’ai rien prouvé. Vous êtes donc obligés de me croire.

La vérité doit être prouvé, au même titre que la bêtise. Mais le problème avec la preuve de la bêtise c’est qu’elle est vraie et avec celle de la vérité aussi. Comment m’en sortir. Hé bé, y’a qu’à sortir de la bêtise pour voir si c’est vrai, n’est-ce pas ?

En conséquence, ce qui est vrai est vrai et ce qui est bête est vrai dans la mesure où je constate sa bêtise, sinon c’est bête. Savoir s’il est plus intéressant d’être dans le vrai que dans la bêtise est une question de goût personnel, je vous le concède. D’ailleurs, du fait de l’incertitude des bornes humaines, on ne peut être si affirmatif tant de la bêtise que de la vérité. Ces bornes sont flottantes, comme son angoisse et la bêtise étant le fruit de l’angoisse humaine face à la vérité, perdre l’une, perdre l’autre, tout cela est fortement incertain, c’est certain.

L’angoisse de l’humain face à la vérité, l’évitement, « le déplacement de l’attention du point central vers une périphérie incertaine » en corroborant l’incertitude de la vérité de l’être est le nœud de cette affaire.

Cette angoisse se répertorie en deux catégories où chacune d’elles ne voit pas son effectivité identique. Il y a l’angoisse flottante, inhérente au vivant et qui lui permet de se mouvoir, d’être différent et celle qui est en surplus de l’angoisse flottante qui est la conséquence de l’absence du mouvement accumulée, de l’angoisse flottante accumulée faute de mouvement. On voit que cette haine du mouvement, de l’émotion sinon que de loin et par un autre, trouve là son origine, sa « raison d’être ».

La « raison d’être » de l’angoisse flottante est la sauvegarde. Elle est un élément de la joie de vivre en immersion dans son environnement, le contact indispensable pour ne le perdre pas. Plus on va dans l’animal prédateur et moins cette angoisse a d’occasion de se manifester, car moins on craint pour sa propre existence (je n’emploie pas le mot « vie » : on ne sait plus à quoi cela correspond !). Ce sont les animaux prédateurs qui ont le sommeil paradoxal le plus profond et le plus long, et en ce domaine, le seul qui surpasse l’humain est l’ours. La nature n’a pas prévu l’arc et la flèche qui sont une invention humaine ; mais ça ne l’empêche pas pour autant de dormir, l’ours.

Dans la panoplie des meilleurs sommeils chez l’humain, on trouve aux moins bons le patron et le commerçant (qui ont peur l’un pour sa place, l’autre pour ses sous) et dans les plus profonds, l’ouvrier qui n’a aucune responsabilité. L’absence ou la profondeur du sommeil paradoxal rend plus nerveux les patrons et les commerçants et non plus intelligents ceux qui en profitent le plus. Quand je vous disais que nous sommes bornés ! L’intérêt des uns et des autres va à l’encontre de la résolution du problème du bonheur de vivre ! L’absence de sommeil paradoxal induit par accumulation une forte angoisse qui se nourrit elle-même par accumulation et trouve les ingéniosités pour l’induire chez les autres par accumulation.

On savait qu’une des jouissances diaboliques du riche est l’accumulation, en fait c’est un tic, il ne peut faire autrement pour satisfaire son impuissance face à l’accumulation de son angoisse provoquée par l’accumulation de l’absence de mouvements émotionnels profonds fruit de la vérité évitée qui donne ainsi à sa vie cette superficialité, « ce déplacement de l’attention du point central vers une périphérie incertaine ». Ce tic est contracté très tôt, dès la petite enfance, hélas, avant même l’apprentissage du langage. Faute de mots, il se manifeste par la production effrénée d’objets sur lesquels on reporte la stabilité de cette angoisse sans jamais trouver pourtant sa fixation, sinon que dans une autre dépression de cette affectivité devenue maniaque, par exemple, le retour sans fin d’une pseudo satisfaction insatisfaisante. Ou autre chose.

La jeunesse se trémousse et elle a raison. Vieille, elle fera un peu moins que ses aînés car elle se sera trémoussée un peu plus.

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