jeudi, 19 avril 2007
Perdu à la sortie du dédale
Au début, l’idée que le monde puit être fou ne m’avait jamais effleuré.
Puis, au fur et à mesure que je vivais, quelque chose me grattait l’esprit : « Mais qu’est-ce donc tout ceci ? » me disais-je.
Alors je suis parti en expédition, pour voir et essayer de comprendre de quoi tout ceci ressortissait. Vous le voyez bien : déjà à l’emploi que je fais des mots et à ceux que j'opte pour exprimer mon idée, tout cela ne vous est pas commun : il y a comme quelque chose d’étrange dans mes propos, quelque chose qu’on ne saisit pas très bien, comme un verre de vin de plus vous engourdit l’entendement alors que vous n’y êtes absolument pas disposé ; comme une musique que vous comprenez et que vous suivez allègrement et qui, tout à coup, vous propose des notes et des consonances qui vous échappent. Je suis de cette eau là, c’est ainsi que ce que j’écris apparaît à votre esprit, celui qui me lit.
Dans cette expédition, j’ai bien failli perdre mon âme : sûr que je n’en étais pas loin. Mais pour comprendre, il faut donner, et on ne donne qu’à « prix d’âme » (Héraclite) dans ce cas là, sinon c’est du pipeau, du travail universitaire ou bureaucrate ; de la paperasserie de toilette. À vrai dire, je ne sais, pas même aujourd’hui, ce qui a fait que je ne l’ai pas perdue. Qu’elle soit abîmée, certes, aucun doute là-dessus, mais que je ne l’ai pas perdue, cela même me paraît étrange... le vin, l’amour, l’étude, l’aventure elle-même, je ne sais. Et bien que j’en sois ressorti par bien des côtés meurtri, je puis affirmer que je ne me suis pas perdu dans cette quête que je m’étais donné d’atteindre : la bizarerie que je trouvais au monde. Il fallait seulement s’y adonner. Et parfois les pieds dans le caniveau... pour se les rafraîchir au petit matin quand le cantonnier à ouvert ses vannes !
J’ai perdu beaucoup, beaucoup, beaucoup. J’aurais pu être un bon mari, un bon papa, un bon père, un bon ouvrier ou chef d’équipe, une personne sur laquelle on aurait pu compter, professionnellement, affectivement, sexuellement. J’ai perdu car je ne suis rien de tout cela, rien. Pour cela, en soi, je suis déjà un cas : n’est-il pas ?
J’ai perdu une vie tranquille, à payer mes impôts, réguler les crédits ; j’aurais même pu m’attacher à consommer modérément, à choisir la voiture (cette automobile) la moins consommatrice d’énergie possible, même si elle n’aurait pas correspondu à mon standing (et là encore je me serais quand même fait remarqué !), etc., etc., etc.
Mais rien de tout cela : je n’aime tout simplement pas le travail : c’est une bonnne cutie pour toutes ces joyeuses activités. C’est d’ailleurs peut-être le travail qui a fait que je n’ai pas perdu mon âme. Non pas que je n’aime pas œuvrer, exécuter une tâche, loin de là : non, je n’aime pas travailler, je hais le travail, la besogne, le gnangnan insignifiant du quotidien et son cortège de soumissions. Oui, finalement, non pas mes amours ou mes escapades, non, mais ma haine du travail : c’est cela qui a préservé mon âme de la perdition.
À vrai dire, je suis assez content de cette longue expédition (environ 31 années) : j’ai atteint beaucoup plus que je ne présageais ou présentais. Et, si cela a été souvent très dur à vivre, je suis content de ce que j’ai acquis : je suis arrivé à une berge, une rive soyeuse, lumineuse, sereine où, hélas, je suis bien seul. J’ai été loin, loin, loin sans considération aucune des conséquences « autres » que celles que je voulais que je voulais atteindre : cela a peu d’importance face à l’importance de « ne pas se marcher sur les pieds », comme je dis, c’est à dire de se respecter, profondément.
Le hic de la folie de ce monde se situe précisément ici : le respect de soi et de l’autre. Payer quelqu’un un SMIC est un manque profond de respect vis-à-vis de soi, car le smicard n’a pas plus que soi de temps à vivre et encore moins d’une moindre manière. Et cette manière, bien sûr, est le travail obligatoire, sinon tu meurs, avec toutes les facéties qui entourent cette croyance en ce soi-disant indispensable, alors que la chose ne réside pas ailleurs que dans l’indolence des gens à se laisser maltraiter, malmener.
Et la folie du monde c’est l’utilisation de l’indolence, qui est purement animale comme l’animal provient du végétal, exploitée contre elle-même par des êtres qui s’imaginent que le travail est essentiellement manuel et que l’humain résiderait dans le fait d’être l'intellectuel qui valorise ce travail manuel, les pauvres branleurs insatisfaits ! Marx a écrit un chapitre du Capital qui s’intitule « Le caractère fétichiste de la marchandise », j’en propose une relecture : « le caractère fétichiste de la valeur », car c’est là que se situe la folie du monde, dans la valeur, cette image qui semble résoudre une relation humaine en la dégradant.
L’illusion c’est ne pas voir ce qui est, l’hallucination c’est voir ce qui n’est pas.
Mais cela aussi m’a beaucoup séparé du monde dans lequel je vis : les mots n’ont plus le même sens, les images les mêmes significations, la valeur la même valeur. Et je paye rudement ce lot par la solitude. En somme, à chercher la raison de la folie du monde (car il a bien fallu que je m’y fasse : ce monde est fou) je suis moi-même entré dans le monde la folie, puisque l’être social qu’est l’être humain, ne traverse plus son genre à travers moi ; et c’est bien triste. Vaine conquète, vains espoirs, vaine vie : il eut mieux fallu pour moi rentrer dans le moule, ne pas répondre à ce grattage de mon esprit, que de me retrouver en cet endroit de solitude, d’incompréhension et de désuétude.
Ça, hélas, c’est irréversible, tout comme la folie de ce monde.
08:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Politique, amour, solitude
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