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lundi, 09 avril 2007

Pensée co-errante

Je lisais hier soir le point de vue sur l’intelligence, que j’ai trouvé chez Piaget (le langage et la pensée chez l’enfant p. 54-55), de Bleuler. Il s’agit de la pensée dirigée ou intelligence et de la pensée non-dirigée ou autistique. Je dirais plutôt, intelligence logique et affective.
La première voit le monde, et le décrit, dans la mesure de ses moyens, tel qu’il est ; l’autre le décrit comme elle voudrait qu’il soit, comme elle voudrait le voir, comme elle le ressent.

Je ne sais pas encore à quoi ce schéma peut correspondre chez les autres animaux que nous : la réalité et son image. Je suppose que, lorsque le singe entreprend de briser la coque d’une noix pour en manger l’amande, il a à la fois l’image de ce qu’il escompte avoir et le moyen de l’obtenir, même si cela prend du temps et de l’énergie. Il y a que l’intensité du désir donne aussi la ténacité dans la poursuite de l’entreprise.
Chez l’oiseau, on peut dire qu’il a l’image de là où il veut se rendre lorsqu’il s’envole et qu’il se donne les moyens d’y arriver, dans un premier temps tout au moins. De même, il se rend à un endroit parce qu’il a l’image de ses copains qui y sont et dont il a la nostalgie.
En agaçant une mante religieuse, on s’aperçoit vite qu’elle pige qu’on va l’ennuyer à nouveau lorsqu’on approche le brin d’herbe qui va l’importuner.

Bref, chez les autres animaux, je peux dire qu’ils possèdent aussi et l’intelligence logique (déduction d’un événement à l’autre, pensée qui cherche à « agir sur la réalité (...) susceptible de vérité et d’erreur (vérité empirique et logique) et communicable [chez l’humain] par la parole ». Chez les autres animaux dotés d’autres moyens de communication indicatifs d’état, ce sera par ces moyens là, précisément.
Tandis que « la pensée autistique est subconsciente, c’est à dire que les buts qu’elle poursuit ou les problèmes qu’elle se donne ne sont pas présent à la conscience. (...) [elle] se crée à elle-même une réalité d’imagination ou de rêve », elle reste endoderme, comme muette, sauf pour qui sait la lire... et pour la lire il s’agit tout simplement d’en apprendre le langage.

Il est, bien sûr, dit plus loin, que l’une ne va pas sans l’autre et que les deux se fécondent mutuellement. Chez l’enfant, cependant, la pensée « de rêve » (qui est toujours un écoulement biologique du temps) domine sur la pensée « de matière » (qui a toujours un temps de retard sur la réalité biologique). Bien.

Ce qui m’intéresse ici au plus haut point c’est la relation des deux modes de penser : l’influence de l’une sur l’autre et les modifications que chacune d’elle impose à l’autre dans la perception de cette globalité qu’est le monde, la vie, le soi, les autres et nos rapports, leur effectivité sur le monde. D’emblée, on peut dire que toutes nos relations seront faussées par la pensée de rêve qui ne correspondra jamais à la réalité, tout en en donnant la perception indispensablement nécessaire du flou qui permet de précisément s’adapter au mieux à cette réalité. Biologiquement, cette pensée est ancrée dans le Système Neuro-Végétatif (sympathique-parasympathique) : c’est le Système Nerveux Végétatif qui permet, sans qu’on s’y concentre davantage qu’il ne le faut, de simplement vivre. C’est le SNV qui vous alerte, vous informe, vous notifie les modifications biologiquement nécessaires sur tel et tel point de la perception que l’ensemble de l’être a du monde pour une adaptation optimale. Le rêve est à la fois un moyen d’y parvenir et un moyen d’information pour y parvenir. Le chien, quand il rêve, court après un prédaté pour réguler les fonctions biologiques qui en ont besoin. C’est le rôle du SNV.

Tandis que le Système Nerveux Central, issu et spécialisation du SNV, permet, lui, de formuler la compréhension que l’ensemble de ces deux perceptions a du monde. Mais c’est lui aussi qui rationalise, c’est-à-dire les rend acceptable, pour lui-même et les autres, les impossibilités qu’il éprouve de modifier le monde à sa pensée dans la mesure où cette pensée éprouve le besoin de modifier le monde pour s’y mieux ressentir. Chez l’humain, c’est le SNC qui, finalement, le pousse à bouger car la pensée qui y règne en quasi-permanence le pousse à se mouvoir, à construire, à modifier, à imaginer une réalité, à donner une réalité à une image intérieure.

L’enfant commence réellement à avoir une pensée logique, socialisée, vers l’âge de 7-8 ans. C’est-à-dire qu’il faut huit ans pour le SNV de permettre au SNC de prendre son autonomie, telle qu’on la connaît : qui permet de comprendre cette lettre, et moi de l’écrire, par exemple. Auparavant le SNV tend à trouver la meilleure adaptation de l’ensemble biologique de l’être par tâtonnement, si je puis dire. Cette adaptation tournera toujours autour du fait qu’on se ressente le mieux possible dans un contexte donné. Toujours. Ce toujours semble sans limite parfois, ce qui le fait souvent sombrer dans l’excessif. Suivant le mode de penser autistique, l’être va d’adapter aux conditions qu’il interprète de ce qu’il ressent du monde de sorte que sa propre existence trouve au mieux à s’y mouvoir, à y vivre... mais cela en image, c’est-à-dire autistiquement, selon une imagerie de sensations. C’est inévitable : il ne peut en être autrement, c’est ainsi que nous sommes conformés et que cela se passe.

Bien.

Quels sont les conflits d’adaptation inévitablement présents qui vont avoir lieu à l’intérieur de cette imaginerie, de cette imagerie des sensations... et qui dure 7 à 8 ans. Cette question, pour moi, présente le plus grand intérêt, car c’est le résultat de cette adaptation qui permettra et orientera à la pensée dite logique, intelligente, dans son expression, vu que l’une et l’autre font partie de la même entité biologique vivante, de la même personne, fût-elle schizophrène ; et que la pensée « intuitive » chapeautera la pensée « logique » tant dans les formulations que dans ce même qu’elle voudra formuler. Eu égard à la spécificité de la personne, une adaptation différente (qui correspondra au rapport de pouvoir, ou de collaboration, entre le SNV et le SNC) ne donnera pas une description similaire d’un même événement, car cette description correspondra d’abord à ce que permet d’énonciation à la pensée logique, la pensée autistique (choix des mots, socialité, but à atteindre, etc.).

Éric Berne, l’inventeur de l’analyse transactionnelle, a posé la base de sa théorie sur l’existence de trois personnes, intimement lies les unes aux autres, dans l’entité biologique de l’être. Il s’agit du « parent », de « l’adulte » et de « l’enfant ». C’est l’équilibre harmonieux de ces trois formes dans une qui donne à la personne le bien-être. Vienne à dominer, en dehors de son champ de compétence, l’une d’elle, et la personne perd son adaptation au monde, l’intimité de ses relations sociales, affectives (amoureuses, sexuelles) et rationnelles. Les relations humaines « intimes » sont des relations égalitaires, ou non-iniques, ou équitables entre les trois personnages mis en relations par les deux personnes. La relation intime est la relation saine. Les autres relations seront toujours des relations de pouvoir que l’on veut prendre sur l’autre ou d’une position de soumission à l’autre. L’enfant est rebelle ou soumis, le parent est autoritaire ou molasse, l’adulte anémié ou hyper-rationel, etc. etc. etc. c’est très intéressant. C’est une manière, parmi d’autres, de décrire le monde humain, de tenter de la comprendre, de la saisir. Ce qui en a été fait ensuite ne le regarde plus. La société, pour perdurer, utilisera souvent un détournement de telles théories à ses propres fins.

Mais je fais une relation entre les conflits inévitables, qui durent 7 à 8 ans, d’adaptation par l’image au monde de l’enfant et, finalement, d’éducation qu’il reçoit pour s’y adapter. La thérapie de Berne consiste à faire que les trois entités qu’il a découvertes chez l’être humain parviennent à se comprendre, s’admettre, à restituer à chacune d’elle son propre domaine d’intervention sur le monde. Il n’a pas compris que les conflits entre le parent et l’enfant, qui amenuisent terriblement l’adulte, sont, de fait, une intronisation sclérosée du conflit de l’enfant et de son contexte. J’insiste « sclérosée » c’est-à-dire musculairement intronisée, à la manière de la cuirasse de Wilhelm Reich, la cuirasse du caractère. Et cette cuirasse est précisément la domination du SNV sur le SNC, en ce sens où ce dernier ne perçoit pas, ne comprend pas, ne peut maîtriser les réactions que le SNV lui induit de faire dans la vie sociale, affective, intellectuelle (retransmettre aux autres êtres sociaux sa pensée du monde). Et c’est, aussi précisément, le caractère indomptable de ces réactions qui correspondent au caractère sclérosé ou aux conflits parent/enfant, caractère que l’on ne peut outrepasser.

Ainsi donc, la formulation de la pensée du monde dépend de la labilité du caractère, ou de l’absence de conflits entre le parent et l’enfant chez la personne bernienne, qui permet à l’adulte d’utiliser ses aspects parentaux et enfantins dans ses relations au monde de manière libre. Je veux dire : pour autant qu’une personne puit être très intelligente (pensée dirigée) la formulation (ce qui lui sera permit d’énoncer de sa compréhension du monde elle-même relative à la liberté de ses perceptions : SNV), ce qu’elle fera du monde dépendra d’abord de sa pensée non-dirigée, de ses rêves... qui seront toujours ses rêves de libération de sa cuirasse ! Ou du conflit intérieurement sclérosé de ses parents à lui-même, du monde et de ses exigences à l’encontre des besoins (j’ai pas dit : désir) du sujet.

Mais pour accomplir, aider à réaliser les besoins d’un sujet, encore faut-il les reconnaître ! Et comme cette reconnaissance est directement relative à la perception que l’on a du monde...

D’une certaine manière, la sclérose caractérielle se défend par ses propres outils, moyens, dispositions : l’image. La pléthore d’image, d’imagerie, d’imaginerie, en bref : de représentations (syndicales, politiques, cinématographiques, républicaines, picturales, bédéesques, publicitaires, monétaires, etc.) peut me montrer que ce monde se comprend de moins en moins sinon qu’en image et qu’il n’a tendance à résoudre ses problèmes qu’en image, d’une manière très éloignée de la réalité des buts que ces représentation se sont assignés de remplir. Il s’agit toujours d’éviter la solution, justement, et notamment en disant qu’il n’y en a pas une, mais plusieurs... sans que pas une ne soit mise en effectivité.

Et ce monde d’image, de pensée non-dirigée, non verbalisée ou, ce qui revient au même, verbalisée à côté, correspond à l’évitement de la résolution du problème fondamental : la relation affective, sexuelle et sociale dans le couple humain, et sa descendance, l’impact de cette distance dans cette (in-)compréhension sur le monde qu’il peuple et l’effectivité du malheur de vivre de nos enfants, particulièrement de nos adolescents qui prennent ces images pour argent comptant, qu’ils répercuteront, dans 15 ans, sur leur monde.

On préfère retourner au travail, aussi futil qu’il soit et aussi polluant, que de se casser la tête sur ce caillou de la cuirasse caractérielle, cette peur de la vie qui bouge.

On voit, par exemple, plein d'images, petites et grandes, sur la pollution et ses conséquences sur notre environnement vital, produite par l'animal industriel : il y a même un ex-candidat d'un énorme pays d'industrie qui a produit des images très modérées sur ce cas. Mais tout cela ne reste que des images, parce que l'être humain n'a pas encore compris que les images, les pensées non-dirigées, ne résolvent rien, même si elles font partie de la perception du monde. C'est sur des images (l'or, l'argent, le papier monnaie, les cartes à puce, etc.) que s'est corroboré le mieux ce système neuro-végétatif humain, sur lui-même. Mais rien, ou si peu et pour si peu de gens, n'a été résolu du problème de la faim, de l'amour, de la régénération délirante de l'espèce auto-nommée "humaine", de la croissance... sinon que des images.

Et, on le sais depuis Wilhelm Reich, pratiquement, ces images sont directements liées à la structure caractérielle de celui qui les formule. On ne pourra jamais faire admettre à un homme politique banal ou pas que ce qu'il propose comme solution pour résoudre le problème du bonheur (dont il n'en a rien à faire) ne correspond pas à ce qu'il fait imaginer qu'il dit ; de même que ces personnes qui gobent, car ils agissent ainsi en image, sans RIEN faire d'effectif et par eux-mêmes, ces imagineries de la pensée non-dirigée. On ne pourra rien lui faire comprendre car sa structure caractérielle ne lui permet pas de comprendre ce qu'il y a à comprendre ! Et il ne correspondra jamais à rien d'autre qu'à des gens qui ne veulent rien faire en dehors des images !

La seule variante que nous propose une élection sera la manière dont les gens rêvent d'un monde meilleur ; rien de plus. Rien.

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