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vendredi, 09 mai 2008

Étalonnage du « pharmakos » /2

(l'article précédent)

Cependant, il y a un placebo-pharmakos de taille qu’il me faut évoquer : le « sport », car, loin d’être une pratique individuelle, c’est ici avant tout un exutoire de masse des masses.

La liesse que le sport soulève, ses peurs, ses espoirs, ses ruses pour contrer les avanies, etc. tout cela étant par excellence particulièrement dérisoire puisque cela n’affecte en rien les conditions matérielles proprement dites des adulateurs, répond au plus près à la fonction du pharmakos et à son aspect placebo pour ce qui est des guérisons que ces émotions provoquent et qui guérissent les autres aspects de la vie qui deviennent ainsi beaucoup plus soutenables sans être en rien modifiés.

La haine, la hargne dont font preuve ces adulateurs montrent bien cette « ardoise » formée du placebo sur une de ses faces et du pharmakos sur l’autre face. Choisir son camp et expurger un autre camp, dont la définition s’arrête à celle-là : être autre, permet de centraliser, de monopoliser et de concentrer toute une énorme quantité d’« affects » sur un court moment d’énergie n’ayant trouvé aucune autre expression plus sociale, conviviale, amoureuse. Lorsqu’on saisit la profondeur de cette émotion, l’endroit où elle puise son énergie, sa forme nous montre une mixture faite d’angoisse et de haine, d’incertitude flottante et de crainte de la réalité, de revanche sans exécution et de trahison subie, d’amour humilié et d’autosatisfaction interdite, de l’attraction irrésistible à l’orgasme et de la fuite devant sa profondeur. Les explosions de « joie » que seul le monde humain peut montrer comme spécificité sous cette forme, les quolibets fermement mûris qui s’appuient sur de vieux adages sans substance, et les vociférations dont la spontanéité est du plus pur calcul d’anticipation, sont, elles, d’une réalité semblable à ces crises d’hypocrisie enfantine dues à une frustration de sucrerie : pas assez mûr pour se comprendre dans le grand tout de la vie.

L’être assis tape du pied, crie, siffle, vitupère, hue, s’indigne d’une injustice commise à l’encontre du camp sur lequel il a collé la teneur affective de sa « valeur » ; tandis qu’au même moment l’autre camp s'enthousiasme devant cette décision, la gratifie de ses exclamations, l’encourage de ses frappements de mains, la couvre de la chaleur de ses emports. Il se lève à l’accomplissement de l’exploit, porte au ciel les bras comme on débande un ressort que la compression de l’attente a maintenu jusque-là comprimé et il se remercie réciproquement à coups d’embrassades, dressé sur ses jambes d’humain, tape des mains avec vivacité, célérité et ardeur, siffle en regardant du déplacement de son chef l’alentour de mouvements rapides le sourire lui déchirant la bouche, les poumons broyés par les spasmes de ses côtes, ayant le mal de respirer jusqu’à l’extase. Dieu que c’est bon !

Le camp « adverse », tout à coup téléporté sur l’ubac de la gloire, saisi par la tenaille de ses jambes coinçant la vigueur d’une queue qui se cache à cette ombre glaciale, la tête basse, ronchonnant, de mauvaise humeur, la moue de l’acariâtre ciselée par l’âpreté de la défaite sur un visage renfermé, quitte les rangs, dans un ordre de défaite, sans unité, sans communauté car chacun prend sur soi cette perte et son amertume et refuse d’en faire une généralité qui compromettrait davantage ses chances de salut futur : ce n’est que partie remise ! Il faudra simplement travailler plus pour gagner plus.

La victoire fonctionne comme une bobinette de fil qui tombe par terre mais dont on tient encore l’extrémité : elle court en se dévidant, trottinant de droite et de gauche, par sursauts. Mais la victoire fonctione aussi comme la tension que représente la gravité qui va, ou non, attiré au sol cette bobinette de fil. La joie de la lâcher viendra de celle provoquée par la victoire de la partie du drame sur laquelle a été déposée cette tension affective. Il faut donc bien comprendre que la valeur de la victoire correspondra à la tension affective qui s’accumulera dans l’expectative du cours du mouvement du temps (et par conséquent par son côté éphémère) auquel on va donner une limite indispensable. Cette tension que retient la victoire, avers de l’ardoise dont le revers est une défaite, sera d’autant plus prégnante qu’incertaine, fluctuante, hésitante. Il s’agit de vivre, de sentir en soi la vie durant tout ce temps et rien que ce temps permi comme un émonctoire permet l’élimination des vieilles choses de la vie restées immobilisées et indésirables.

La victoire est le placebo ; au moins une des équipes le pharmakos ; l'ensemble du processus, une cérémonie religeuse. Il s’agit là bien d’une expression de l’orgasme qui ne se retrouve pas, c’est-à-dire qui ne se retrouve pas ailleurs selon ses propres conditions qui sont l’abandon sexuel ; orgasme qui, par cette démonstration même d’inachevé sinon qu’en image, montre la puissance de la course qui vous sert de fuite.

Je ne puis dire si l’humain implique le « pharmakos » et son « effet placebo » comme obligation ; j’en doute fort mais parfois submergé par la bêtise de son monde, je ne sais plus grand-chose. Nous participons à un truc immense (on va chercher des planètes qui seraient susceptibles de ressembler à la nôtre pour, peut-être, pouvoir y reconnaître des congénères extérieurs — alors que l'on sait, aujourd'hui et maintenant ce qui est fait de l'« étranger »), même s’il se résume parfois à la dimension d’un écran de télévision, dans lequel on baigne, gigantesque, cosmique, la VIE, mais qui est ressenti comme une angoisse se traduisant par une inutilité de tant de souffrance, de plaisir épars et de quotidien : cela ne sert à rien. Depuis quelques millénaires, il y a toujours des malades affectifs qui se montent la tête pour faire chier le peuple, le monde dont nous voyons les changements rapides de formes que cette action induit. Je ne suis en rien étonné, dès lors, que, placés devant une telle vacuité dont le ressenti n’est pas réfléchi par la conscience, des gens devinent le besoin d’inventer un placebo, un ou des dieux, dont ces gens seraient des protégés suivant les mêmes conditions de souffrance et de petit plaisirs, des enfants perdus aux formulations incomplètes dont ils laissent la formule à ce/s dieu/x et les procédures à ces malades dont je parlais il y a un instant.

Ce/s dieu/x demande/nt des pharmakos (ou des bouc-émissaires, moins tardifs dans le temps de notre histoire) simplement parce que ces gens ne se comprennent pas, ne savent pas ce qu’ils sont dans le monde, le leur et pour eux-mêmes, ce qu’ils SE représentent ; alors que c’est essentiellement affectif.

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