lundi, 24 mars 2008
Avant que les bêtes ne mangent du foin, il y avait aussi une histoire
Le passage du mode de subsistance de cueillette-chasse à celui issu de l’agriculture demeure assez sombre. Mais il commence à être possible de poser quelques pierres à l’édifice de cette compréhension.
L’humain n’avait aucun besoin de l’agriculture : son intégration dans son environnement correspondait en gros à celui de tout animal : il y trouvait ce qu’il y pouvait et selon certains chercheurs, il était très loin d’être un misérable, un dépourvu en état perpétuel d’inanition. Ce passage de la cueillette-chasse à l’agriculture n’a pu donc s’opérer que selon un état d’esprit initiateur à l’affaire.
Cela s’est passé dans le Levantin. Depuis longtemps l’humain connaissait l’usage des céréales (orge et blé sauvages), c’est-à-dire le cycle de leur croissance, leur valeur alimentaire et culinaire. Le mode de récolte en était la grapille ou cueillette ; ce qui laissait à la plante le soin de se resemer d’une année à l’autre car ce mode de récolte laisse beaucoup de grains sur le sol et provoque même la chute sur le sol de ce grain.
Il faut savoir que la différence entre une céréale sauvage et une autre cultivée est que la sauvage est destinée à s’éparpiller arrivée à maturité. C’est-à-dire que le grain se sépare par le vent de l’épillet ; ou encore c’est l’épillet qui se scinde en autant de grains sous l'effet du vent pour une plus grande possibilité de semis. Tandis que la tranformation humaine, la marque de la domestication sur la céréale fait, que par un choix judicieux que l’on va discuter plus loin, au contraire, pour une raison de commodité de transport et de meilleur gain, le grain et sa glume doivent rester soudés à l’épillet.
Un autre facteur important pour la tentative de compréhension du passage de la cueillette-chasse à l’agricole est que le grain d’une céréale reste fertile alors même qu’on le cueille avant sa maturité achevée. Et de le cueillir bien avant sa maturité, si cela lui enlève une bonne part de son pouvoir nutritif tout en étant fortement goulaillant, tendre, goûteux, laisse la possibilité, encore une fois, de transport plus aisé pour la manger plus loin, pas seulement à l’endroit où on le cueille.
Troisièmement, de cueillir, avant sa maturité complète, un « champ » de céréales sauvages, empêche notablement que le grain se resème de lui-même. Ainsi on s’apperçoit de la relation entre une récolte totale, « par le vide » et le fait que l’année d’après la récolte est moindre, beaucoup moindre ou inexistante ; c’est-à-dire qu’il faut laisser du grain sur le sol pour en récolter ultérieurement.
Le passage d’un état d’esprit de cueillette-chasse à celui d’agricole est une franche transformation de la compréhension du monde ; transformation qui est, semble-t-il, irréversible (mais évolutive, sans doute, améliorable ou qui peut servir de tremplin pour une stade de compréhension — de transformation, donc — du monde différent… si on en a encore le temps). Il faut penser radicalement différement pour inventer l’agriculture. Cela n’est pas si vieux (environ 9000 ans). On devrait pouvoir le comprendre.
La relation entre le coït et la reproduction n’était pas encore établie : elle le sera beaucoup plus longtemps après établie, plus de 4000 ans plus tard. La reproduction se faisait au gré des « dieux », c’est-à-dire des ancêtres féminins, car à cette époque, les dieux étaient en majorité féminins puisqu’ils étaient les pourvoyeurs de tout, que c’était par le féminin que se passait toute reproduction effective. Ceci est très important. La masculinisation des dieux est, elle aussi, tardive. On en connaît la manifestation à travers l’écriture, principalement, mais on peut supposer qu’elle s’est manifestée tardivement. Le vent engrossait les mamifères sauvages tandis que les femmes étaient engrossées par les esprits des ancêtres. Ces ancêtres se servaient de divers moyens pour parvenir à cette reproduction et les éléments fluides de la nature leur servaient de support : vent, eau, feu.
Ainsi, la graine que l’on voyait bien germer n’était pas la graine qui germait mais un autre phénomène à nous perceptible transformant en germination cette graine, en processus (et non pas en état). On avait deviné et observé ce devenir, mais on le comprennait suivant lui-même : un devenir, et non pas comme un état. L’ensemble du monde était un processus et de cette manière la mort n’existait pas encore.
La mort s’est manifestée dans les rêves humains, dans le souvenir : comment puit-il être que l’être disparu se manifestât à l’esprit alors qu’il avait perdu toute palpabilité, étant même putrissant, malodorant, pourri, désagrégé ? Cela n’est possible que par l’admission du souvenir comme matérialité (alors qu’il n’est qu’un effet de l’esprit : le souvenir est une interprétation de l’esprit).
Le rêve était la relation entre le monde du vivant et celui du mort. Mais le mort n’avait pas la contenance de celui que nous connaissons aujourd’hui : le monde DU mort n’est pas la même chose que le monde du vivant mais il existe bien, quand bien même les choses disparaissent et que ce que nous appelons « histoire » persiste et signe de ses signes le temps du vivant. Le monde DU mort est vivant dans le monde du vivant d’alors, puisqu’il demeurait dans la persistance de l’histoire (n’en déplaise aux théoriciens de l’écrit). La pensée qui enregistre, compare, pèse, suppose, etc. pouvait fort bien être la manifestation d’un dieu, son moyen de manifestation doté d'une amplification auquel on était mêlé, marié, fondu.
L’invention du feu n’a pas facilité l’affaire, si je puis dire, parce que les fumées sont parfois des moyens que les dieux utilisent pour entrer en contact avec le monde du vivant. Le monde du mort n’est pas du tout mort : il n’est pas palpable, certes, de la pulpe des doigts mais bien perceptible de celle des antennes de l’esprit qui detient, lui, précisément cette faculté de l'impalpable. Bien sûr, nous le savons, tout cela est une « vue » de l’esprit et n’a rien de concret en dehors de cette « vue ». Mais pour nos ancêtres, les fumées produites par le feu ne sont pas innocentes. Il est du plus intéressant de faire soi-même du feu « sans allumettes » pour s’appercevoir de l’influence du souffle et de la fumée dans sa confection devenue depuis longtemps indispensable. Les hallucinations (que notre monde abhore outrageusement alors qu’il s’y adonne avec autant de stupeur que nos ancêtres dans la publicité ou dans la guerre, à ceci près que le besoin manifeste d’idoles ne se prostituait pas : point de vente pour elles) n’étaient pas des hallicinations : elles étaient des manifestations des dieux vivants DU monde du mort vivant.
Ainsi est venue la conception de « la mort dans la vie » et de « la vie dans la mort ». Méditons mes sœurs et mes frères : il y a ici à matière ! Et quelle matière : celle de l’humain. Il était manifeste que la vie se renouvelle dans la mort, PAR la mort. Pour nous cela ne nous semble pas évident : il faut que la mort arrive, mais non pas pour annoncer la vie puisqu'elle n'est que la finitude d'une vie, mais le cours de sa continuité. Dans ces temps immémoriaux, la mort renouvelait la vie ; et cette manière de penser est restée longtemps après l’invention de l’agriculture pour se retrouver, par exemple, dans la pensée des Grecs archaïques, pensée que l’on retrouve un peu plus tard dans le « pharmacos », précisément.
Cette pensée, pour digression, se manifeste aussi par la transformation à travers la mort du « Roi » de la Reine. Celui-ci, servant de moteur(!) sollicitateur à la nature dans le cours de son mouvement (et par conséquent par son côté éphémère), provoquait par sa mort sa renaissance et la sienne propre à travers un autre vivant qui prenait sa place pour une destinée semblable. Bien sûr, la sexualité participait activement de la chose par les mouvements enivrants des pelvis énergétiquement mouvementées dans une pulsation soudée et corrélative.
Il est fondamental, pour le mode de penser dialectique de fortement distinguer toutes ces étapes éparses dans sa recherche pour comprendre cette transformation précédatrice à l’état d’esprit propre à l’adoption du mode de vie agricole : dépendre, et l’accepter en vers et contre le TOUT, du « produit de son travail ».
Dans ce cadre, pour nous faciliter l’affaire, nous pouvons comparer ces DEUX TOUTs l’un à l’autre comme étant exclusif l’un à l’autre (il n’y aurait pas, sinon, ici, l’occasion d’écrire cet article).
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